Mairie de La Baume

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1844 - Jean-Marie Chappaz

  • Publié : 28 juillet 2025

Né à Argonay en 1844, Jean Marie Chappaz est nommé instituteur adjoint à l’école de Scionzier en 1863, puis bénéficiant d’un avancement, il se trouve à La Baume en 1864 à 19 ans le deuxième instituteur de la commune.

Comme les habitants de Nicodex refusaient de venir au chef-lieu, alléguant la distance, Mr Chappaz de rendit chez eux, soit à Nicodex même, soit sur le Plan, le jeudi et dimanche, durant deux hivers. Il réunit jusqu’à 36 jeunes gens pour apprendre à lire et écrire.
Il épouse, en 1866, Jeanne Muffat qui lui donnera deux enfants.
Sur sa demande, Jean Marie est muté à Massongy en 1868. Pour la tenue de cours pour adultes, on lui octroie une prime de 50 francs.
Bientôt tout le monde à La Baume regretta Mr Chappaz. On avisa aux moyens de le faire revenir. Le maire lui offrit le chauffage gratuit, le secrétariat de la mairie et une souscription annuelle de 300 francs payé par le le curé Cathand. "Pour ce temps-là, ctait doubler mon traitement de 600 fr. et le porter au chiffre le plus élevé du département"
On le retrouve de nouveau à La Baume dès octobre 1870. Il assume également le secrétariat de la mairie et compose des cantiques qu’il exécute lors des offices religieux sur l’orgue acheté grâce à une souscription publique lancée à son instigation par la chorale qu’il dirige.
Décidé de passer sa vie à La Baume, où son coeur s’étaoit attaché, Mr Chappaz était occupé à se construire une maison, lorsque que subitement, un matin d’avril 1875, il recut son changement pour Clarafond, à l’autre bout du département.
"Voici ce qui s’était passé : un certain percepteur du Biot, aussi usurier que faux clérical et qui fut révoqué d’ailleurs quelques années plus tard pour d’autre motifs, se plaignit coup sur coup à la Préfecture qu’à la Baume, depuis de longues années, le curé et la population faisaient sans cesse de grosses dépenses par des souscriptions volontaires qui ne passaient pas par ses mains, ce qui le privait de ses remises. ".

Préfet et inspecteur d’Académie s’accordent à prétendre que l’instituteur s’occupe d’un grand nombre d’affaires étrangères à la tenue de son école, le sous- préfet ajoutant "il est urgent d’en débarrasser la commune". Malgré une pétition des élus municipaux - sauf du maire - en faveur de son maintien à La Baume, il est expédié à Clarafond en 1875.

Un rapport de l’inspecteur général mentionne que la classe de Monsieur Chappaz mérite la mention de "très bien tenue" , et lui attribue une prime de 100 francs accompagnant la médaille d’or récompensant les cent meilleurs enseignants français du Primaire, et en juillet 1876 propose une mutation pour Morzine. Dès son arrivée dans cette commune, il se trouve en butte à l’hostilité du maire qui refuse tout net de l’installer. Le préfet prescrit à l’inspecteur primaire de procéder à cette prise de poste, au besoin avec l’assistance de la force publique.

En 1877, Chappaz figure au vingt neuvième rang pour ses mérites valant la qualification d’"instituteur modèle". En 1879, il se trouve au troisième rang et reçoit du ministre une médaille de bronze accompagnée d’une allocation de 100 francs.

Cinq cents instituteurs - dont Chappaz - se rendent à Paris à l’exposition de 1878, où il organise une conférence exposant ses idées personnelles. Cet événement le conduit à établir un rapport, les bases de conférences pédagogiques cantonales, sur l’organisation des bibliothèques, des sociétés de secours mutuels, des caisses d’épargne scolaire…
A cette même époque, le préfet constate que, "continuant ses errements, Monsieur Chappaz persiste à s’occuper de questions étrangères à ses attributions". Il demande à l’inspecteur d’Académie de lui adresser un dernier avertissement et de le prévenir que, s’il continuait à créer des difficultés à l’administration, il proposerait son changement. Le préfet espère que cette dernière invitation "déterminera Monsieur Chappaz à ne plus s’écarter de ses attributions et à ne plus agiter notamment la question de subvention pour l’entretien des écoles, question qui est exclusivement du domaine administratif".

L’année suivante, il doit permuter avec Arbusigny, son collègue de cette commune des Bornes le remplaçant à Morzine. En 1881, il reçoit une allocation ministérielle pour travaux extraordinaires, un diplôme à l’occasion de la réussite de plus du dixième des élèves au certificat d’études, une médaille d’argent et un ouvrage relié. Au mois d’octobre, un arrêté préfectoral nomme Jean Marie Chappaz à la direction de l’école communale laïque de la ville d’Annecy.

On constate un progrès correspondant à "deux années de travail en cinq mois". Grâce à une discipline sévère, l’ordre règne. Les maîtres adjoints surveillent la propreté du corps et des vêtements ainsi que les habitudes de politesse et d’éducation. Ils effectuent une heure et demie quotidienne de leçons supplémentaires. Mais, suite à l’échec de dix-sept sur les vingt-cinq élèves présentés au certificat d’études, le directeur vexé dans son orgueil, adresse une lettre de protestation au ministère, car il estime la dictée de l’examen trop compliquée, ce qui a pour conséquence de désigner Monsieur Chappaz "pour un poste de disgrâce". On propose son affectation pour Menthonnex-en Bornes. Or, un arrêté le nomme à la direction du cours complémentaire de Bons, en octobre 1883, où il n’enseignera qu’un an.

En 1884, on le trouve au Biot, où il initie ses élèves à l’agriculture et à l’horticulture, gagnant avec eux des prix dans les expositions. Il se maintient ici durant cinq ans, puis doit, dès la rentrée de novembre 1889, poursuivre sa carrière dans le Faucigny. Ce déplacement voulu par le sous-préfet de Thonon lui épargne la révocation pure et simple : "Si Monsieur Chappaz devait simplement être déplacé, il y aurait un intérêt politique sérieux à ce que cette mesure l’envoya dans un autre arrondissement…".
Ne venait-il pas de commettre sa plus grande faute : se porter candidat aux élections législatives du 22 septembre 1889, en face du député du Chablais André Folliet. Il se présentera encore dans l’arrondissement d’Annecy en 1892, puis aux sénatoriales en 1909.
En conséquence, le cours complémentaire du Biot tomba sous une décision de fermeture et, pour cette raison, son directeur se trouva chargé de l’école de garçons de Contamine-sur-Arve.
Dans cette commune, Jean Marie Chappaz organise des cours du soir pour adultes, fort utiles puisqu’en 1869, plus de 10 % des conscrits contaminois ne savent ni lire, ni écrire. Il dirige également la chorale. Un incident entre le premier magistrat et les choristes occasionne la démission du directeur et la dissolution de la société.

A Contamine, il a hélas, le chagrin de perdre sa fille, le 26 août 1895. Il écrit avoir eu la consolation que sa "chère Léa a eu des funérailles splendides faites par la population et la jeunesse de Contamine". Engagé au 31ème de ligne pour trois ans en 1894, son fils périra durant son séjour à l’armée.

L’instituteur est en poste à Contamine, lorsqu’il pose sa candidature comme successeur du député d’Annecy Félix Brunier décédé dans un accident de chasse, en 1892.
Le 14 décembre 1894, l’Inspecteur Primaire note que "Monsieur Chappaz est toujours le même maître intelligent, mais fantaisiste. Il semble cependant moins entiché de ses réformes plus ou moins utopiques". L’air de Contamine ou plutôt l’âge avançant lui apporterait-il plus de pondération ?
Une note du préfet (août 1901) précise qu’il "a été verbalement convenu entre Monsieur Angel Blanc, conseiller général de Bonneville et moi que l’on pourrait maintenir quelque temps encore Monsieur Chappaz à Contamine, sous réserve qu’il cesse les hostilités contre Monsieur le Maire, ce à quoi il s’est d’ailleurs engagé vis-à-vis de moi".
La trêve ne fut pas de longue durée puisque, le 30 août 1902, il obtient sa mutation et celle de sa seconde épouse à Saint Gervais.

De son imagination fertile surgissent des idées que nous pourrions juger farfelues, quelquefois des mesures sociales ou philanthropiques, comme la fondation de sociétés de secours mutuels entre les instituteurs et les institutrices, une Société de guerre à l’ignorance, un Projet d’organisation de bibliothèques pédagogiques et populaires circulantes, un Projet complet de loi organique sur l’instruction primaire…Pour les orphelins de l’enseignement primaire, il réclame l’adjonction d’une école professionnelle. Il préconise l’organisation d’un "Asile-Hôtel" pour les instituteurs retraités, bilan prévisionnel à l’appui Il invente une méthode de langage universel et instantané : "Ecrire comme on parle, parler comme on écrit… une seule lettre usuelle pour chaque son, un seul son pour chaque lettre ; dès lors, ni lettres nulles, équivoques ou à plusieurs sens… le même son reproduit par la même lettre dans toutes les langues…"

Le Régent propose d’accueillir chez lui, à Contamine-sur-Arve, les curieux afin de les initier directement à cette méthode.

Le 22 juillet 1902, de Contamine, il écrit au directeur de l’enseignement primaire de la Seine demandant "très respectueusement a être nommé instituteur adjoint à Paris pour enseigner, pendant ses loisirs le langage instantané…"

Pour fêter dignement le cinquantenaire du rattachement de la Savoie à la France, il propose un symbole du "Langage instantané" : la statue d’une femme auréolée, tenant d’une main un flambeau éclairant fortement le monde, de l’autre un livre polyglotte à la portée de toutes les intelligences, les pieds posés sur un globe terrestre pour refouler la séculaire ignorance des cinq parties du monde…

Ce projet ne fut pas retenu, comme "le palladium universel dédié à la science, à la paix et à l’humanité" que l’instituteur de Contamine souhaitait pour Paris, en 1890.
Dès la déclaration de guerre, il publie des "guides militaires en langage instantané, particulièrement utiles pour diriger les armées en pays étrangers. En moins d’un jour, chaque soldat peut, sans maître, les apprendre dans les garnisons, les camps, les tranchées…"

Rien ne le décourage, rien ne le rebute. Pour faire connaître ses projets, pour faire adopter ses idées, il écrit d’innombrables courriers à l’inspecteur d’Académie, au préfet, au ministre de l’Instruction Publique, au Président de la République… organise des pétitions, rédige des brochures, donne des conférences, participe à des congrès, à des expositions à Paris…, revendiquant des titres superlatifs : "bienfaiteur de l’humanité", "génial philanthrope", "pionnier de la civilisation".

Apparemment, il est bon pédagogue, mais ce super actif cause bien des tourments aux autorités préfectorales, communales et académiques.

Le 27 octobre 1904, il est mis d’office dans l’obligation de faire valoir ses droits à la retraite. Ulcéré, affligé par cette mesure qu’il juge inique, il s’intitule l’instituteur mendiant dans un pamphlet adressé au ministre de l’Instruction Publique, dans un supplément de la "Tribune de l’enseignement Primaire".

Il vécut ses dernières années à Ivoray, hameau de Mieussy où sa femme enseignait, puis à Annemasse où il décéda en 1917.

Participation à la perte de notre patois
Dans une lettre de quatre pages l’instituteur Jean Marie Chappaz expose à l’inspecteur d’Académie, la méthode qu’il emploie pour apprendre aux petits ruraux à se débarrasser du patois et parler le français.
Extraits :
C’est un moyen simple, pratique et amusant…Le maître, après avoir fait comprendre les inconvénients du patois, exhorte les élèves à parler le français dans la cour et les environs de l’école… le régent fait tenir au premier enfant qui dans la journée parle le patois, un grelot que l’élève est tenu d’agiter constamment à sa main, de manière à ce qu’il soit entendu dans toutes les parties de la cour. Quiconque a été saisi du grelot doit copier un petit pensum après la classe. Se sentant humilié de tenir le grelot et d’être exposé à la risée de ses camarades, le fautif a tout intérêt à s’en débarrasser au plus vite, d’autant plus qu’il a pour consigne de le céder au premier enfant qui prononce un mot de patois. Aussi s’empresse-t-il à courir parmi les groupes pour trouver à s’en défaire ; mais comme en courant il agite et fait sonner son grelot, tous les élèves se trouvent par là même, avertis et se gardent bien de tomber en faute. Après quelques jours seulement, le grelot a complètement banni le patois de l’école.
Le matin et à midi, le grelot est pris (mais non pas cette fois à titre de punition), par le premier élève qui arrive en classe, de sorte que cet instrument se fait constamment entendre dans la cour, et sert de continuel avertissement à tous les élèves.
Souvent le maître est obligé d’intervenir quand la teneur du grelot veut le céder à des élèves qui n’ont encore prononcé qu’à demi un mot de patois, ce qui prouve que cette police est mieux exercée par les enfants que par l’instituteur le plus vigilant.
Il arrive aussi que le grelot soit passé à un élève qui a prononcé un mot patois qu’il croyait français. De là, discussion intéressante et, lorsque la lumière ne peut suffisamment s’établir entre eux, c’est le dictionnaire, la grammaire ou la voix du maître qui tranche la difficulté en dernier ressort…"

Sources :
Larges extraits tirés de "Jean Marie Chappaz Bienfaiteur de l’Humanité", par Pierre Soudan dans la Revue Salésienne de 1992, pages 95 à 123, consultée aux Archives Départementales de Haute Savoie à Annecy.
http://www.lepetitcolporteur.com//2020/fr/php/page.php?num=13&page=1